Norbert Pralle
Chef de la gestion de l’innovation, Ed. Züblin AG – fait partie du groupe STRABAG SE, et président d’ENCORD
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Germany
L’Internet des matériaux est en voie de devenir la nouvelle ruée vers l’or et le secteur de la construction est bien placé pour en profiter. Pour obtenir le statut de chef de file, les entreprises du secteur doivent agir rapidement pour garantir l’accès à la réutilisation des matériaux de construction existants. En effet, pour atteindre la carboneutralité, le secteur doit rapidement développer une économie de construction circulaire. Le secteur et les entreprises de construction doivent investir dans la numérisation et la conception en vue de la déconstruction des bâtiments et des infrastructures, et utiliser les mégadonnées pour déterminer où des matériaux précieux peuvent être récupérés dans les stocks urbains existants déjà très distribués. L’exploitation minière urbaine est appelée à devenir la nouvelle normalité.
La Commission européenne s’est engagée, dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, à devenir un continent neutre en carbone d’ici 2050. La Commission européenne a également annoncé en juillet 2021 qu’elle s’engageait à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Le pacte vert pour l’Europe souligne également la nécessité d’une utilisation efficace des ressources et une croissance économique dissociée de l’utilisation des ressources.
La Commission européenne a désigné le secteur de la construction comme l’un des secteurs les plus gaspilleurs et les plus polluants. La construction et l’environnement bâti au sens large comptent pour environ 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et constituent un secteur où de nombreuses améliorations sont possibles : les déchets de construction et de démolition produits en Europe représentent 850 millions de tonnes, soit environ 60 % du total des déchets produits en Europe.
La construction est un secteur vaste et complexe, qui n’adopte généralement pas une approche globale du cycle de vie des actifs pour les bâtiments et les infrastructures qu’il produit. Il existe des chaînes d’approvisionnement complexes et hiérarchisées au sein du secteur, qui comprennent un énorme secteur de matériaux de construction et de fabrication lourde. Il peut également être très fragmenté et le gaspillage est endémique dans cette fragmentation. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que l’impact des émissions de gaz à effet de serre causées par la construction et l’environnement bâti soit sous-estimé.
On estime que le total des émissions de gaz à effet de serre pour les 10 matériaux de construction couramment utilisés et consommés dans les pays de l’UE28 créera 518 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par an d’ici 2030 si aucune mesure n’est prise pour réduire le carbone intrinsèque à ces matériaux. L’équivalent en émissions de gaz à effet de serre du ciment consommé dans l’UE28 atteindra plus de 140 millions de tonnes si aucune mesure de réduction du carbone n’est prise. Cela équivaudra à plus de 3,75 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l’économie dans l’ensemble des pays de l’UE28 en 2030. Les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre pourraient être considérablement réduits si l’industrie européenne du ciment prenait des mesures pour décarboniser la production de ciment. Mais les mesures mises en œuvre pourraient ne pas atteindre l’objectif de la Commission européenne, à savoir une réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Un écart pourrait encore exister en 2030.
Le secteur de la construction consomme de grandes quantités de ressources naturelles et de matériaux. Dans les seuls pays de l’UE28, le secteur de la construction a consommé 2,8 milliards de tonnes des 10 matériaux couramment utilisés. Si rien n’est fait, ce chiffre devrait atteindre 3,7 milliards de tonnes d’ici 2030 et 4,6 milliards de tonnes d’ici 2050. Cette consommation, si elle n’est pas remplacée par l’utilisation de matériaux existants, entraînera non seulement des niveaux plus élevés d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi une plus grande perte de biodiversité.
Avec une population mondiale qui devrait atteindre 8,5 milliards d’habitants d’ici 2030 et une population urbaine supplémentaire de 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050, les besoins en matière d’infrastructures et de construction sont appelés à augmenter.
Les pays développés consomment environ 330 tonnes de matériaux de construction par habitant. Dans les pays en développement, la consommation est d’environ 60 tonnes par habitant.
Compte tenu de l’augmentation de la population et si le niveau de vie dans les pays en développement devait atteindre un niveau similaire à celui des économies industrialisées, le parc immobilier existant devrait être reconstruit deux fois d’ici 2050.
Le ministère fédéral de l’Environnement a estimé que 27,7 milliards de tonnes d’actifs bâtis existent déjà rien qu’en Allemagne et qu’ils augmentent de 10 tonnes par habitant chaque année.
L’activité minière traditionnelle est généralement concentrée dans des endroits précis où se trouvent des gisements de ressources naturelles.
L’exploitation minière urbaine est très différente : les sources de matériaux pouvant être réutilisés ou retraités sont fortement réparties dans les environnements bâtis. Un environnement urbain est une réserve de myriades de matériaux et de compositions de matériaux. L’extraction de matériaux et de composants d’un stock extrêmement distribué nécessite un inventaire des données et de l’information basée sur le cycle de vie, en faisant appel à des bases de données du domaine public. Des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) pour tenir à jour l’inventaire des stocks.
Pour parvenir à la neutralité des émissions de carbone et des ressources, la construction doit subir une transformation majeure, où la déconstruction jouera un rôle essentiel.
À l’heure actuelle, de grandes quantités de déchets de construction et de démolition sont produites – environ 2,6 tonnes par habitant et par an dans l’UE. On estime que seulement 50 % de ces déchets sont réutilisés, principalement comme couche de fondation inférieure pour la construction de routes ou pour d’autres types de remblais, ce qui correspond à un recyclage vers le bas.
La cartographie des stocks urbains de matériaux existants devra être entreprise, ainsi que les données sur la date d’expiration de la fin de vie utile des actifs bâtis existants. Chaque nouveau bâtiment ou actif d’infrastructure devra être doté d’un jumeau numérique coordonné et intelligent, conçu pour divulguer la teneur en carbone et pour être déconstruit et désassemblé de la même façon que d’autres industries ont pris l’habitude de désassembler des produits afin de réutiliser et de recycler les matériaux existants. Rolls Royce réutilise et réusine désormais 95 % des pièces de moteurs d’avion existants.
De la même façon que les nations investissent dans la construction de jumeaux numériques nationaux au niveau des villes, une base de données des matériaux de construction devrait se trouver en toute sécurité dans le domaine public.
Le secteur de la construction pourra alors commencer à réutiliser un pourcentage beaucoup plus élevé de matériaux réellement recyclés. Les codes du bâtiment et la réglementation devront être adaptés pour permettre la mise en œuvre de matériaux secondaires.
Les promoteurs et les entreprises de construction qui utilisent la déconstruction et les matériaux de construction récupérés devraient également pouvoir obtenir des crédits et des points dans le système d’évaluation LEED (Leadership in Energy and Environmental Design).
Les nouvelles structures devront également être construites avec moins de matériaux, en utilisant des éléments structurels légers selon les principes du biomimétisme, afin de consommer moins de matériaux tout en assurant la solidité de la structure.
Les bâtiments et les infrastructures devront être entièrement conçus pour faciliter leur déconstruction et leur réutilisation. Une plus grande précision lors de la fabrication et une utilisation moindre de produits chimiques comme la colle, les revêtements et autres traitements des matériaux permettront la réutilisation. Des approches de construction simples faciliteront la déconstruction. L’utilisation de la robotique permettra également une déconstruction plus facile et sûre, tout en améliorant la productivité. L’utilisation d’explosifs pour démolir les structures appartiendra au passé.
Un secteur de la déconstruction, essentiellement le développement d’une toute nouvelle industrie, sera fortement axé sur les données et deviendra un secteur industriel précieux et moderne qui utilisera des technologies évoluées, telles que la robotique et l’IA. Puisque les stocks de matériaux sont littéralement très distribués, il faudra exploiter un vaste réseau de données pour prospecter l’or à l’ère de l’Internet des matériaux.
Chef de la gestion de l’innovation, Ed. Züblin AG – fait partie du groupe STRABAG SE, et président d’ENCORD
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Chef mondial des infrastructures et de la construction, Oxford Economics, et conseiller en affaires mondial, Pinsent Masons LLP
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